lundi 21 septembre 2009

Mobiliser le droit, se saisir du droit et réaliser le droit

Sites de mobilisations collectives des associations homosexuelles en Suisse et en Espagne.
Marta Roca i Escoda (ULB, GRAP – UAB, IDT)

Résumé de la communication :

Le droit comme ressource politique donnée ou à construire, ne doit pas être seulement appréhendé comme un outil de contestation de la position minoritaire ni comme un levier d’accès au pouvoir par les minorités. Le droit, et notamment lors qu’il s’agit de se saisir du droit, de pousser le droit pour faire valoir des droits, a une composante matérielle, celui-ci étant avant tout un appareillage qui fournit des sécurisations face à des fragilités de l’existence (couple, identité, etc.). Il a également une composante symbolique, dans le sens qu’il est saisi par les minorités comme un médium de reconnaissance (i.e. d’affirmation d’une existence ou identité).
Nous voudrions traiter de ces deux composantes du droit avec quelques exemples empiriques tirés de deux études de cas dans deux contextes différents. Les premières mobilisations collectives visant la reconnaissance des couples homosexuels à Genève et les actions menées par l’association de Familles lesbiennes et gaies (FLG) en Catalogne, ayant comme but de réajuster les droits acquis (notamment l’ouverture du mariage aux couples homosexuels, avec une pleine reconnaissance de la filiation homosexuelle) avec les protocoles et les instances administratives (registre civil, formulaires pour les demandes d’adoption, etc.).

Le choix concernant le terme mobilisation du droit, plutôt que recours au droit, s’explique par le fait que notre démarche suppose d’observer un processus qui est à la fois social et conceptuel . « Social » d’abord, parce qu’en amont de l’arène parlementaire il faut qu’un problème public suffisamment consistant et mettant en jeu les valeurs et principes de la communauté politique soit amené à l’attention des Autorités et que la nécessité de faire une loi apparaisse justifiée. « Conceptuel » ensuite, car si, comme l’écrit M.-A. Hermitte, le « droit est un autre monde » et qu’il dispose de son propre langage , lorsque l’on fait appel à lui, il convient d’amener les situations pratiques qui font problème à sa hauteur et de composer avec son réseau conceptuel. Il est en effet nécessaire de traduire les choses dans des termes qui autorisent les juristes et les parlementaires à rentrer en matière et qui rencontrent les « mondes possibles du droit » auxquels ceux-ci se réfèrent lorsqu’ils légifèrent.

D’autre part, étudier la réalisation du droit implique de prendre en compte un ensemble de médiations, d’intermédiaires et de dispositifs cognitifs susceptibles d’accompagner le droit en dehors de la seule arène judiciaire. « Ainsi, penser la réalisation du droit, ce n’est pas uniquement s’inquiéter de l’effectivité du droit, c’est d’un même tenant devoir penser la préparation de l’environnement, des situations et des personnes au cheminement et à la concrétisation des contraintes, des objectifs, des garanties et des exigences du droit » .

Afin d’apprécier les mobilisations du droit, on va retracer la genèse d’une mobilisation collective donnant lieu à un projet de loi, relatif à l’institutionnalisation des couples homosexuels, qui sera par la suite déposé au Parlement genevois. A travers le cas concret d’un couple homosexuel qui, via un collectif ad hoc, configure et porte une cause jusqu’aux instances législatives en proposant la première loi Suisse sur le concubinage (i.e. partenariat) à Genève, il s’agira d’apporter des pistes de réflexion quant à la mobilisation du droit. Plus concrètement, on montrera comment ces personnes s’adressent à la sphère juridique et réclament une évolution des structures institutionnelles de telles façons que celles-ci soient en mesure de leur faire droit.

Dans un tout autre contexte, nous allons nous pencher sur la réalisation du droit, en prenant comme étude de cas les actions engagées par une association catalane de familles lesbiennes et gais, qui se mobilisa pour essayer d’adapter les dispositifs administratifs référents aux procédures d’adoption et d’insémination artificielle à la reconnaissance de la parenté homosexuelle, résultant de l’ouverture du mariage aux personnes homosexuelles. Bien que la loi espagnole du mai 2005, ouvrant le mariage aux couples homosexuels, permet l’accès à la parenté homosexuelle (et reconnaît les familles homosexuelles existantes), la complexité du système juridico-administratif espagnol – notamment, en raison de la prévalence de quelques codes civils des régions autonomiques sur le code civil de l’Etat – entrave la réalisation concrète de certains droits liés au mariage homosexuel dans le contexte catalan. En effet, en Catalogne une loi antérieure à la loi espagnole ouvrait l’accès à l’adoption des couples homosexuels et reconnaissait la parenté homosexuelle, mais avec un décalage important : il n’y avait pas d’automatisme dans le processus de filiation lorsque deux femmes recouraient aux PMA, la mère non biologique devait entamer une procédure de filiation, là où la loi sur le mariage espagnol stipulait un automatisme dans ces processus de filiation.

D’autre part, dans les processus d’adoption, bien que les couples homosexuels aient les mêmes droits que les couples hétérosexuels, les instances qui se chargent de juger de la capacité (le terme utilisé est idoine) d’une personne ou d’un couple à adopter un enfant n’ont pas changé les critères d’aptitude, ceux-ci sont fortement ancrés dans la valorisation d’un modèle traditionnel du couple (hétérosexuel et marié). Avec l’étude des actions engagées par cette association de familles lesbiennes et gays nous allons essayer d’illustrer la manière dont ces minorités se saisissent du droit et poussent à la réalisation du droit.

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